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CHARLES GUÉRIN.

sions, surexcité son courage au point d’imaginer un moyen odieux, du moins à notre goût. C’était de menacer sa mère d’une incartade semblable à celle de son frère aîné, et de laisser le pays plutôt que de renoncer à celle qu’il aimait.

Une insomnie fiévreuse l’avait chassé de son lit, et à cinq heures, comme sonnait l’angélus, il se promenait sur la grève depuis longtemps, et avait déjà parcouru plusieurs fois cette partie de l’anse qui se trouve entre la Rivière aux Écrevisses, et la route qui descend à l’église.

La journée qui, dans les prévisions de notre héros, devait être si importante, s’annonçait pour une des plus belles du printemps. Les flots de lumière, que répandait le soleil levant, éclairaient avec magnificence l’admirable paysage qu’aucun objet sur l’eau ni sur la terre ne troublait dans sa majestueuse immobilité. Une neige éblouissante tranchait sur le sommet des hautes montagnes de l’autre côté du fleuve, avec l’azur du firmament. De larges taches blanches, que l’hiver semblait avoir oubliées au flanc des côteaux, et d’espace en espace dans les champs, contrastaient avec les noirs sapins, et l’herbe nouvelle qui déjà recouvrait la terre comme une mousse épaisse ; de petits ruisseaux formés par la fonte des neiges, emprisonnés sous la glace de la nuit, commençaient à retrouver leur chemin avec un roucoulement semblable à celui des oiseaux. Des nuées d’alouettes, seuls êtres vivans qui paraissaient éveillés dans cet endroit solitaire, s’élevaient en tourbillonnant au-dessus de la petite île et des deux pointes de l’anse, saluant de leurs joyeuses chansons le lever de l’astre du jour.

À part de ces quelques légers changemens de décorations, tout, dans le tableau que nous avons fait une première fois, était resté dans le même état ; pas une maison de plus, pas une clôture, pas un arbre de plus ; ce qui nous fait souvenir cependant, qu’il y avait un arbre de moins, le vieil orme abattu par la tempête. Ce lieu et ce moment étaient