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CHARLES GUÉRIN.

donc bien propres à rappeler en foule, à la pensée du jeune homme, tout ce qui lui était arrivé depuis la dernière fois qu’il avait contemplé avec son frère les beautés de leur endroit natal.

Il fut bien vite détourné de ses réflexions par un brait qu’il entendit du côté de la maison de M. Wagnaër. C’étaient plusieurs groupes d’habitans armés de fusils qui s’avançaient dans cette direction. Charles crut d’abord que l’on avait fait quelque prisonnier, arrêté quelque voleur ou quelque meurtrier pour les conduire de capitaine en capitaine jusqu’à la ville. Mais à l’air de gaieté, à la toilette rayonnante de ces braves gens, tous plus ou moins endimanchés, il reconnut bien vite qu’il s’agissait d’une fête, et non pas des sinistres préparatifs d’une instruction criminelle. En effet, il put distinguer l’instant d’après, portée sur les épaules de plusieurs habitants, une longue pièce de bois, semblable au grand mât d’un navire, entourée de branches de sapins, de rubans et de banderoles de toutes les couleurs. Ce n’était rien moins qu’un Mai, que l’on venait planter devant la maison de M. Wagnaër, récemment promu au grade de major dans la milice provinciale.

Deux hommes à cheval paraissaient chargés du commandement. L’un était le plus ancien capitaine de la paroisse : un large ruban rouge-feu entourait son chapeau, et une ceinture de même couleur suspendait à son côté un vieux sabre, dont le fourreau peu solide était ficelé sur tous les sens. Il était difficile d’ailleurs, avec cet accoutrement militaire, d’être plus content de soi que l’était le capitaine Martin, à la tête de l’élite des deux compagnies de la paroisse. L’autre cavalier était Guillot le commis, qui, sans avoir le moindre grade dans la milice, n’en paraissait pas moins l’ordonnateur de la fête.

— Arrêtez donc, vous autres ! cria le capitaine à ses miliciens, lorsqu’ils furent près de chez M. Wagnaër. Qu’est-ce que vous faites donc ? Vous avez l’air d’une bande de moutons,