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CHARLES GUÉRIN.

tions libérales, l’absolutisme des parens, surtout dans les familles riches, se ressent encore beaucoup de l’ancien régime. Nous ne prétendons pas dire que l’autorité paternelle s’y montre dure et inexorable ; mais elle a assurément une large part d’influence sur les actes les plus importans de la vie : le choix d’un état, et celui d’une épouse. Les meilleurs parens, par leurs instances et leurs larmes, violentent quelquefois des décisions qui devraient être libres, par cela même qu’elles sont irrévocables.

Il n’est même pas rare de voir cette influence exercée par la mère, à l’exclusion du père, et de grands garçons, très capables de penser par eux-mêmes, adopter, avec une soumission sans doute bien louable, la manière de voir plus ou moins éclairée de leurs mamans, sur leur propre avenir. Il en résulte quelquefois que celui qui aurait fait avec beaucoup de peine un bon commis, devient un notaire ou un avocat, et que celui qui montre toutes les inclinations d’un mousquetaire, revêt l’habit ecclésiastique. Ce sont-là de petits écarts de l’imagination maternelle qui, au demeurant, sait d’ordinaire gouverner avec assez de bon sens toute la famille, à commencer par le chef de la communauté.

Pour ce qui est de madame Guérin, rien n’était plus légitime que l’influence qu’elle exerçait sur Charles. Par la supériorité de son esprit et l’énergie de son caractère, elle avait su dès le principe remplacer auprès de ses enfans l’excellent père qu’ils avaient perdu dans leur bas âge ; elle avait conduit avec prudence et sagacité leurs petites affaires pécuniaires, et ce qui vaut encore mieux, elle avait su à la fois se faire craindre d’eux et se faire aimer. Aussi, quoique prévenu par quelques mots de la lettre de Louise, Charles n’en fut pas moins très étonné lorsque, dès le début de leur conversation, sa mère lui proposa d’abdiquer une autorité dont elle usait si sagement.

— M’émanciper, ma mère, s’écria-t-il ? Mais qu’est-ce que