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CHARLES GUÉRIN.

15 Avril.

Me voici retombée dans mon ennui et le dégoût de tant ce qui m’environne. Cette lettre m’avait pourtant consolée, du moins pour quelques jours.

À présent, j’ai beau la lire et la relire, il me semble qu’elle ne me dit plus ce qu’elle me disait. Je suis dans un état étrange. Tout est pour moi sujet de crainte ou d’espérance. La moindre chose, un mot, un brait, un regard me trouble et m’effraie…

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21 Avril.

J’ai lu des vers qu’il me faut copier ici. Je ne pourrais jamais si bien exprimer ce que je sens.

L’absence.

Pendant une heure au moins je l’avais attendu,
Mécontente, j’avais tâché de me distraire
Par un livre amusant, un travail assidu ;
Hélas ! je ne pouvais ni lire ni rien faire,
Assise sans penser devant mon secrétaire,
Sans se fixer sur rien, mes yeux erraient partout,
Ma plume au lieu d’écrire essuyait la poussière,
Et puis entre mes doigts la prenant par un bout,
Mollement j’arrachais sa parure légère ;
Puis ma tête tombait sur mon bras incliné,
Puis j’effaçais un mot, puis ma main indolente
Défaisait sans effort chaque boucle flottante,
Dont mon front le matin se voyait couronné.
Je soupirais tout bas sans peine bien réelle
J’arrangeais le fichu que j’avais détaché
Puis je me balançais et le corps tout penché,
Je comptais les pavés de ma chambre nouvelle.
Qui croirait que ce jeu dissipa mon ennui !
Depuis que nuit et jour je ne pense qu’à lui,
Pour moi tout est présage — et la lune couverte,
Et les ciseaux offerts, la rose trop ouverte,
La marguerite en fleurs que j’effeuille en passant,
Le chant du jeune oiseau, sa vue au jour naissant
L’araignée au matin qui frit que je tressaille,
Que j’ai peur jusqu’au soir et qu’alors je me raille