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CHARLES GUÉRIN.

20 Mai.
Ah ! plaignez le mortel, qui seul en son ennui
Va cueillir une fleur et la garde pour lui !

Pensée délicate et vraie !… Je suis allée aujourd’hui herboriser. J’ai trouvé des fleurs qui sont à-peu-près les premières à poindre dans les champs au bord des ruisseaux, et sur la lisière des bois. Le printemps est bien tardif cette année. L'érythronium, jolie fleur jaune qui se balance avec grâce sur sa tige entre deux longues feuilles d’un vert doux à l’œil et tacheté de rouge, le trilium avec ses trois feuilles, ses trois sépales et ses trois pétales, l'anémone aussi gracieuse que son nom, le sanguinaria canadensis dont la racine tache comme du sang, la violette, fleur emblématique dans tous les pays, la claytonia virginica dont les petites campanules blanches et roses se cachent aussi comme les fleurs de la violette ; quand je les ai eu cueillies, je ne savais plus qu’en faire : mon petit herbier en contient déjà des spécimen sous toutes les formes. Quel plaisir j’aurais eu à les lui donner.

J’étais bien contente cependant de mon petit butin, dont je me proposais de faire hommage à mon père, lorsque j’ai rencontré la mère Paquet, qui venait au-devant de moi et qui m’a fait le plus vilain plat qu’on puisse imaginer. « Mamz’elle Marichette, m’a-t-elle dit, je ne sais pas ce qu’ils ont dans le village, mais ils ne font que rire de vous et jaser sur votre compte. Depuis que ce beau Mossieu est parti, ils disent que vous êtes folle, que vous avez la tête virée, que vous êtes fière, c’est terrible, et puis que vous avez bien du chagrin, ce qui est bon pour vous ! Ils disent comme cela que vous n’aurez plus jamais de ses nouvelles, qu’il vous a amusée, qu’il se moque de vous ; et un tas d’autres choses que je voudrais tant seulement pas vous répéter. Croyez-moi, mamz’elle Marichette, soyez gaie, avenante, montrez-vous dans le village, faites-vous