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CHARLES GUÉRIN.

— Enfin, il ne voudra pas faire perdre cet argent à son gendre futur, puisqu’il faut tout dire.

— Ni, à l’ami de son gendre.

— En effet, vois donc Guérin ; ça n’a pas l’air à le tourmenter beaucoup.

— Bah ! c’est une vraie misère, et si mon ami Voisin veut m’écoute ?, nous allons noyer ses inquiétudes dans une rasade. Mon beau-père (comme vous voulez bien le dire) ne fera pas banqueroute peur si peu de chose.

— Voilà qui est parler comme un homme.

— Prends modèle là-dessus, mon pauvre Voisin, et n’aies pas peur de ton ombre.

— C’est cela ; faites comme moi. Je suis plus jeune que vous, et ma position ne m’alarme guères.

— Une belle et un billet ! Quel est le jeune homme qui n’a pas l’un ou l’antre ?…

— Quand il n’a pas l'un et l’autre.

— Nous pouvons tous en dire autant.

— Allons ! à nos créanciers et à nos belles !

— A nos amours et à nos dettes !

— A nos billets promissoires et à nos billets doux !

— Rasade, mille tonnerres, rasade !

— Et surtout, que Voisin vide son verre en conscience.

— Oui ; qu’il boive le calice jusqu’à la lie.

— A nos belles, tout pour elles !… à nos créanciers ce qui resterait…


On pense bien que ce toast, bu avec enthousiasme et avec fracas, ne fut pas le dernier. Des rires bruyans, des chants étourdissans et cacophoniques, le bruit des carafes, des assiettes, des verres et des huitres, qui dansaient une véritable ronde sur la table, tinrent éveillés une partie du voisinage, et firent croire à quelques bonnes vieilles que le sabbat se tenait cette nuit-là dans leur quartier.