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CHARLES GUÉRIN.

— Ma foi, il se lance dans le monde.

— Vous me faites trop d’honneur ; ce n’est pas pour mon plaisir, et c’est bien la plus étrange histoire qu’on puisse imaginer.

— Conte-nous cela.

— Figurez-vous que mon ami Guérin et moi, nous avons endossé des billets à M. Wagnaër, pour un jeune nigaud qu’il protégeait. Nous sommes les victimes de notre patriotisme.

— Pour Guérin, passe ; mais toi, Henri, victime de ton patriotisme, c’est trop fort.

— Écoutez un peu, il s’agissait, nous disait M. Wagnaër, d’établir un jeune compatriote, de former une maison de commerce canadienne, il fesait lui-même de grands sacrifices ; et il ne nous demandait que de lui prêter nos noms. Son protégé devait faire merveille, et voici ce qu’il a fait : des dettes partout, de très mauvaises affaires, et au bout de trois mois, il est incapable de payer ses billets. J’ai reçu avant hier une lettre de mon confrère M. X…, avocat de la Banque de Québec, qui m’engage poliment à lui payer le montant du billet, que j’ai endossé, avec les frais de protêt, etc. Il me laisse l’alternative de lui donner une confession de jugement, qu’il acceptera avec reconnaissance pour s’éviter la désagréable nécessité, etc. Nous sommes si aimables entre nous. Nous nous exécutons réciproquement avec tant d’égards.

— C’est comme nous autres médecins ; nous expédions nos confrères pour l’éternité gratis, et avec une foule de procédés charmans.

— Mais quoi ! tu prends ton affaire au sérieux ?

— Tu t’imagines qu’un homme comme M. Wagnaër va vous laisser dans l’embarras ?

— C’est qu’il paraît très gêné lui-même.

— Ce ne peut être que momentané.