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CHARLES GUÉRIN.

bleuâtre et fugitive d’un bol de punch ne ressemble à la lueur chaste et paisible de la lampe suspendue à la voute du sanctuaire.

Quelquefois le souvenir de son premier amour passait dans son esprit. Seulement l’effet de ces apparitions variait suivant les circonstances. Se trouvait-il mécontent de Clorinde, était-il formalisé des attentions qu’elle recevait de quelques autres jeunes gens, il lui semblait alors que la pauvre enfant du village, seule, savait aimer. Était-il fier de ses succès, des bouffées d’orgueil obscurcissaient-elles sa mémoire, il rougissait alors en lui-même de la petite paysanne.

Ses affaires lui donnaient bien aussi de temps à autres quelques petites inquiétudes. Son établissement de la Rivière aux Écrevisses demandait beaucoup d’argent et n’en rapportait pas encore. Les fonds mis à sa disposition avaient été sérieusement entamés par les dépenses qu’entraînaient ses nouvelles habitudes. Le jugement rendu contre lui pouvait s’exécuter d’un jour à l’autre. Sur ce point cependant, il se rassurait en se disant que M. Wagnaër saurait bien y voir. Son mariage prochain répondait à tout.

Il y avait quelques jours qu’il n’avait pas vu Clorinde, lorsqu’il trouva chez lui, au retour de l’étude, un billet à l’enveloppe dentelée et parfumée. —

Mlle Wagnaër désirait lui parler le plus promptement possible.

Vivement intrigué par cette étrange missive, il vola plutôt qu’il ne courut chez madame L… chez qui Clorinde passait l’hiver. Il trouva celle-ci recevant avec la demoiselle de la maison la visite de deux jeunes personnes de la même coterie. Elle conserva le calme et le sang-froid qui ne doivent jamais abandonner une femme du monde, même dans les momens les plus critiques. La conversation fut reprise au point où elle avait été interrompue par l’entrée de Charles.