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CHARLES GUÉRIN.

présence de ces amis et de ces connaissances serait plus souvent nuisible qu’utile, plus importune que consolante. Il est si peu de personnes même des plus charitables qui soupçonnent l’infinie délicatesse avec laquelle certaines misères doivent être secourues. Les gens bien nés sont dans l’affliction comme les malades que tourmente un rhumatisme inflammatoire, le moindre effort pour les soulager, le moindre contact, si doux, si léger qu’il soit, fait courir dans toutes les fibres de leur existence un frissonnement douloureux. Heureux alors dans son malheur celui qui peut s’isoler, et penser dans la solitude les plaies de son âme !

Tel fût le sort de Madame Guérin, peu de temps après la vente judiciaire des biens dont elle avait imprudemment transmis la propriété à son fils.

Le dimanche qui suivit ce jour funeste, le vieux Jean-Pierre se présenta accompagné de sa femme aussi décrépite et aussi avare que lui. Il venait visiter son bien, comme il disait, et signifier brutalement à l'occupante qu’elle eût à déloger dans la quinzaine. À voir ces deux personnages examiner minutieusement, de la cave au grenier, la maison et toutes ses dépendances, on aurait crû qu’ils en étaient de bonne foi les propriétaires incommutables. L’agent de M. Wagnaër trouvait une volupté grossière, mélangée de vanité et de jalousie satisfaite, à entrer ; comme il le fesait, dans l’esprit de son rôle.

Madame Guérin de décida de suite à laisser la paroisse et elle fit louer par son fils un petit logement dans le faubourg St. Jean, à Québec : par là, elle ne restait point séparée de Charles et elle s’éloignait d’un endroit qu’il lui était désormais trop pénible d’habiter.

Elle fit un encan d’une partie de son ménage, des animaux, des ustensileS d’agriculture et de tout ce qui était nécessaire à l’exploitation d’une ferme. S’il lui fut pénible de se défaire de ces objets, ses regrets n’égalèrent certainement point ceux