rien du tout ; tant pis pour lui. M. Wagnaër n’avait-il pas le droit de préférer à un jeune homme incompris, un homme d’affaires habile et expérimenté, pour en faire son gendre ?
« Tout le bruit que fesait la famille Guérin venait de son désappointement : le dépit d’avoir été refusé par une riche héritière avait monté la tête à ce pauvre garçon. Henri Voisin avait été plus heureux que lui, c’est qu’il s’y était pris plus convenablement. Au lieu de faire des phrases sentimentales à la jeune fille, et de se poser en troubadour, comme avait fait son ami, il avait su s’attirer l’estime et la confiance du père que l’autre avait sottement négligé. »
Voilà ce qui se disait partout, et ce que Jean Guilbault n’entendait jamais, sans se fâcher. Il eut maintes querelles à ce sujet ; mais il s’apperçut bientôt que, plus il s’emportait, moins il fesait de prosélytes, et qu’il compromettait de plus en plus la réputation de son ami. Il pensa que celui-ci serait peut-être trop heureux, si, en fin de comptes, après lui avoir enlevé sa fortune, on voulait bien lui laisser son caractère. Il songea à cette pauvre grue de la fable, si fière d’avoir retiré sa tête saine et sauve de la gueule du loup, à ces pauvres moutons, à qui l’on fesait tant d’honneur en les mangeant, et à une foule d’autres allégories qui toutes se résument par le mot de Breunus : vae victis ! malheur aux vaincus ! Point de justice pour les faibles !
Il se tut et fit bien.
Un soir il entra chez Madame Guérin, le visage tout bouleversé, et les lèvres toutes pâles.
— Qu’y a-t-il-donc ? Viens-tu encore de rompre une lance pour ma cause, lui dit en riant son ami ?
— Non, mais je viens de rencontrer ce gredin de Voisin, en tilbury, le cigare à la bouche et qui part pour la campagne. Il est bien heureux cet aigrefin de pouvoir gagner la campagne !
— Mais ce n’est pas un si grand bonheur après tout.