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CHARLES GUÉRIN.

Les enterremens des cholériques se feraient régulièrement chaque soir à sept heures, pour toute la journée. Les morts de la nuit avaient le privilège de rester vingt quatre heures ou à-peu-près à leur domicile. Ceux de l’après-midi n’avaient que quelques heures de grâce. On les portait au cimetière à la hâte pour l’enterrement du soir. Tant pis pour eux, s’ils se réveillaient trop tard !

À toutes les heures du jour, les chars funèbres se dirigeaient vers la nécropole ; mais le soir c’était une procession tumultueuse ; une véritable course aux tombeaux, semblable aux danses macabres peintes ou sculptées sur les monumens du moyen âge. Des corbillards de toutes formes, de grossières charrettes, contenant chacune de quatre à six cercueils symétriquement arrangés, se pressaient et s’entreheurtaient confusément dans la grande allée, ou chemin St. Louis. Les irlandais étaient à-peu-près les seuls à former des convois à la suite des dépouilles de leurs parens ou de leurs amis. Ce peuple est si malheureux, qu’il a toujours festoyé la mort comme une amie, et que nul danger ne peut s’éloigner d’une cérémonie funèbre.

C’étaient de longues files de calèches pleines d’hommes, de femmes, et d’enfans entassés les uns sur les autres, comme les morts dans leurs charrettes ; tandis que les cercueils des canadiens se rendaient seuls ou presque seuls à leur dernière demeure. Au reste, la plupart de ceux qui avaient parcouru ce chemin la veille en spectateurs, fesaient eux-mêmes le lendemain les frais d’un semblable spectacle.

Le lendemain du jour où nous avons vu le curé et le docteur sortir de la maison de Madame Guérin, un pauvre et