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CHARLES GUÉRIN.

remplissait, à en juger par l’attention et la solennité exemptes de toute routine avec lesquelles il lut les prières du rituel.

Sa voix vibrante et grave, quoique jeune et douce, sa figure mâle et sérieuse, son ton et sa contenance presque inspirés frappèrent vivement tous les assistans. Son accent et ses manières avaient même quelque chose d’étranger. Les plus curieux demandaient tout bas quel était ce nouveau prêtre, et les mieux informés d’ordinaire, ne pouvaient répondre à cette question.

Lorsqu’avec un ton et un geste imposants, il leva le bras pour bénir les cercueils, il eut l’air quelques instans du prophète accouru à la voix de Dieu dans la vallée des morts, et commandant aux ossemens arides de se recouvrir de leurs nerfs et de leurs chairs, à l'esprit de souffler des quatre coins du monde et aux morts de se lever et de marcher.

Tout le monde sans exception s’agenouilla et pendant le silence mystérieux et lugubre du Pater Noster, on entendit comme le bruissement des vagues sur la rive ou comme les voix lamentables que jette la tempête dans les forêts, un chœur de sanglots qui brisaient à l’unisson toutes les poitrines. Un long murmure, auquel pas une voix ne manqua de se joindre, répondit ensuite aux versets du De profundis, que le jeune prêtre contre l’usage récita sur le bord même de la fosse. Jamais cette sublime prière n’avait été dite avec plus de ferveur ni par des voix plus émues. Les oreilles du tout-puissant durent réellement se faire attentives à cette voix sortie de l’abîme des douleurs : la miséricorde qui est toujours auprès de lui, dut alléger le poids des iniquités qu’aucune âme ne saurait jamais soutenir.

Le prêtre se dirigea ensuite vers les quelques fosses à part, qui avaient été creusées non loin du sillon commun près du mur. — Une douleur plus, amère encore que toutes celles qu’il avait éprouvées tomba sur le cœur de Charles Guérin. Dans