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CHARLES GUÉRIN.

figure, elle plongea un regard perçant dans le fond de la chambre, jeta ce cri « Pierre ! » et s’affaissa en murmurant le nom de l’absent, comme si elle l’eut apperçu auprès d’elle : si bien que Charles et Louise ne purent s’empêcher de détourner la tête et de porter simultanément leurs regards vers l’endroit que les yeux de la mourante avaient indiqué.

Dès que Madame Guérin eût rendu le dernier soupir, Jean Guilbault ordonna à la famille de se retirer dans un autre appartement. Jusque-là il n’avait pas voulu troubler la piété filiale de ses amis à qui l’idée du danger n’était pas même venue. Le jeune homme ne les abandonna point d’un seul instant, il passa le reste de la nuit à réciter avec eux les prières des morts ; et nous venons de le voir former avec Charles et le vieil oncle tout le cortège funèbre de la pauvre dame.

L’entrée du cimetière St. Louis offrait ce soir-là un spectacle plus saisissant encore qu’à l’ordinaire. La grande chaleur de la veille en avait fait une des journées les plus meurtrières de cette meurtrière époque. Aussi indépendamment du grand nombre de fosses à part, (pour les morts de distinction) retenues d’avance, la fosse commune, sillon long et profond, creusé au milieu de la nécropole, était remplie d’un bout à l’autre des nouvelles victimes.

De deux à trois cents personnes de tout âge, de tout sexe, de tous rangs, de tous costumes, se pressaient dans un lugubre silence de chaque côté de la fosse commune. Il y avait là comme une députation de chaque classe de la société, élégans en grande tenue, matelots aux habits goudronnés, soldats en habits rouges ; mais toutes les figures portaient une même empreinte, celle de la douleur et de la terreur à leur apogée.

Le prêtre, qui s’avança lentement précédé d’un seul enfant de chœur portant un petit crucifix d’argent, était un tout jeune homme, et il n’avait pas l’habitude du ministère funèbre qu’il