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CHARLES GUÉRIN.


VIII.

MONSIEUR DUMONT.

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M. Dumont, le patron de Charles, avait une terrible peur du choléra. Malgré cela, fidèle aux vieilles traditions de la magistrature, il était resté inébranlable à son poste. Il avait pris envers le fléau, le même parti que les athées prennent contre l’être suprême dont ils redoutent la justice : il le niait purement et simplement.

Avec lui la mort avait toujours raison. Pourquoi un tel avait-il tant mangé de fruits et de légumes ? On peut mourir d’indigestion en tout temps, pour peu qu’on le veuille. Pourquoi cet autre avait-il tant bu de brandy épicé ? C’est un remède pire que le mal : on se tue avec les préservatifs. Pourquoi celui-ci avait-il fait une diète si rigoureuse ? Il faut manger pour vivre. On ne se souient pas avec l’air qu’on respire. Pourquoi le médecin avait-il donné une si forte dose d’opium à cet autre patient ? Le moyen de ne pas mourir, quand on vous empoisonne ! Pourquoi avaient-ils fait transpirer cette pauvre femme jusqu’à ce que mort s’en suivît ? La recette de Sangrado a toujours été infaillible pour guérir les malades de tous maux présens et à venir !

Et M. Dumont passait ainsi en revue tous les cas de choléra parvenus à sa connaissance, et exonérait chaque fois ce pauvre