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CHARLES GUÉRIN.

bondissant, la surface du fleuve. Ce n’est que l’avant garde de bataillons beaucoup plus formidables, qui ne tardent pas à paraître. Alors vous chercheriez en vain un rayon de soleil, un petit coin de ce beau ciel bleu, si limpide, qui vous plaisait tant. Sur un fond de nuages d’un gris sale, passent rapides comme des flèches, ces mêmes brumes, qui se succèdent avec une émulation, une opiniâtreté désolante. On dirait tantôt la blanche fumée du canon, tantôt la fumée noire d’un bateau-à-vapeur. Tantôt elles dansent comme des fées capricieuses, aux vêtemens d’écume, sur la crête des vagues, tantôt elles passent dans l’air d’un vol assuré, comme d’immenses oiseaux de proie. Quelquefois leur vitesse semble se ralentir, elles paraissent moins nombreuses ; déjà vous croyez entrevoir en quelques endroits une lumière vive, comme celle du soleil, vous appercevez même à la dérobée quelque chose de bleuâtre qui ressemble au firmament, vous vous dites que les brumes s’épuisent, que vous allez bientôt en voir la fin : vous vous trompez, elles passeront toujours. Le golfe en contient un inépuisable réservoir.

Une journée maussade, quelquefois deux, s’écoulent ainsi. Puis vient une pluie froide et fine, qui va toujours en augmentant, jusqu’à ce qu’elle se transforme en véritables torrens, poussée qu’elle est par un vent impétueux. Tout le jour et toute la nuit, et souvent plusieurs jours et plusieurs nuits, ce n’est qu’un même orage, uniforme, continu, persévérant. Pendant tout ce temps la pluie tombe comme dans les plus grandes averses, la fureur du vent se maintient à l’égal des ouragans les plus terribles. Il semble que le désordre est devenu permanent, que le calme ne pourra jamais se rétablir. Cependant cela cesse ; mais alors recommence l’ennuyeuse petite pluie froide, plus désagréable et plus malsaine que tout le reste. Enfin, un bon jour, sur le soir, éclate une épouvantable tempête : ce n’est plus le vent de nord-est seul ; tous les enfans