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CHARLES GUÉRIN.

velle noblesse, la noblesse professionelle, née du peuple, qui a succédé à la noblesse titrée. Qu’elle y prenne garde, si elle oublie son origine, si elle suit le même chemin… le même sort l’attend !

— Oh, mais, c’est bien différent cela ! La noblesse, ou la noblaille, comme vous voudrez, s’est anglifiée, pour se rendre encore plus aristocratique : ce n’est pas ainsi que je l’entends. L’anglification gagnant peu à peu la masse du peuple, le préparerait à se fondre bien vite dans le vaste océan démocratique, qui…

— Halte-là ! Je n’aime pas les grandes phrases, et je n’aime pas qu’on me fonde ! La politique d’anglification en vient toujours là. Avec cela, il faut toujours être fondu. C’est une idée qui m’ennuie considérablement. Qu’en dis-tu Guérin ?

— À présent, c’est l’américanisation que M. Voisin veut nous prêcher. Je t’assure que ça m’est bien égal. Mordu d’un chien ou d’une chienne… Je ne suis pas pour les fusions. Les peuples comme les métaux ne se fondent pas à froid. Il faut pour cela, de grandes secousses, une grande fermentation.

— Que voulez-vous y faire ? On ne vous demande pas si cela vous fera du mal, ou du bien. On ne s’inquiète pas le moins du monde, de vos sensations : si ça vous brûlera, ou si ça vous gèlera. On vous pose un fait : un fait, diable, que voulez-vous encore une fois ? On ne répond pas aux faits, on ne répond pas aux chiffres. Voyons, nous sommes serrés entre l’émigration d’Angleterre et la population des États-Unis. Il n’y a pas à regimber. Si vous ne voulez pas être anglais, soyez yankees ; si vous ne voulez pas être yankees, soyez anglais. Choisissez ! Vous n’êtes pas un demi-million ; pensez-vous être quelque chose ! La France ne songe pas à vous : elle a bien de la peine à conquérir sa propre liberté.