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CHARLES GUÉRIN.

— Oh ! elle l’a glorieusement conquise ! Cette année, mil-huit-cent-trente, qui vient de finir, est une grande année pour le monde ! C’est l’ère de la liberté ? La France libre et puissante dans l’ancien monde, pourquoi n’aiderait-elle pas, ne protégerait-elle pas une Nouvelle-France, dans le nouveau monde ?

— Voilà bien de l’enthousiasme ; mais, pour cela, il faudrait d’abord que la France nous connût ?

— Nous nous ferons connaître ! Le premier réveil de son ancienne colonie, le premier cri de guerre, le premier coup de fusil d’une révolution attirera ici des centaines et des milliers de français. Ne les a-t-on pas vus partout où il y a du danger et de la gloire ? Pourquoi ne feraient-ils pas pour la Nouvelle-France ce qu’ils ont fait pour la Nouvelle-Angleterre ?[1]

— Pourquoi ? Mon Dieu, je vous le répète : ils ne vous connaissent pas. Les coups de fusil que vous tirerez ici, ils ne les entendront pas. Entendons-nous siffler à nos oreilles la flèche de l’indien ?

— Quant à cela, Voisin a raison. Il y a longtemps, pour la France, que nous sommes morts et enterrés. Nous ressusciterions qu’elle n’y croirait pas ; elle ne saurait pas ce que cela voudrait dire. Il n’y a pas de peuple qui soit plus dans l’ignorance de ce qui se passe hors de chez lui que le peuple français. Un de mes amis, qui a fait ses cours à Paris, prétend qu’on n’a jamais voulu le prendre pour un canadien, parce qu’il n’avait pas le visage tatoué. Lorsqu’il est parti, on a voulu le charger d’une lettre pour Tampico, parce que c’était sur son chemin ! Et puis les peuples qui comptent sur l’étranger pour secouer le joug, comptent toujours sans leur hôte…

— Sur quoi comptes-tu, mon pauvre Guilbault ; car tu es un révolutionnaire ?

  1. Ces idées étaient assez généralement celles de la jeunesse canadienne avant 1837. L’événement a donné raison aux prédictions d’Henri Voisin.