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CHARLES GUÉRIN.

s’habille en velours et en satin, que l’on porte de l’étoffe du pays. Mais, c’est impossible au superlatif !

— C’est l’impossible élevé au carré, élevé au cube ; c’est l’impossible mathématique ! Je te vois d’ici, mon pauvre Guilbault, avec un habit de drap extra-superfine, un gilet de tout ce qu’il y a de moins indigène, des pantalons transatlantiques, des gants jaunes, en un mot toute la toilette que tu critiques si amèrement chez les autres.

— Mille tonnerres ! c’est vrai pourtant ! Les femmes sont la ruine du pays ! moralement et politiquement.

— En voilà-t-il un paradoxe ?

— Comme s’il y avait des nationalités sans familles !…

— Et des familles sans femmes !

— Que diable aussi, vous êtes d’une exagération terrible tous les deux ? Vous m’avez meublé et habillé comme cela, sans que je m’en sois aperçu.

— Et c’est justement cela. Tu t’en apercevras encore bien moins.

— Oui, est-ce qu’on s’aperçoit de quelque chose ?

— Mais à présent que j’y pense : quand on ne peut avoir le plus, on a le moins. Pourquoi toujours, les gens qui vivent élégamment, ne font-ils pas leur possible pour mettre à la mode les objets manufacturés dans le pays, les choses du pays ?

— C’est encore vrai. Ils ne savent qu’afficher un luxe imbécile. Leur vanité est si lourde, si grossière, qu’elle n’invente rien. Dans toutes ces maisons élégantes ; vous y trouverez des glaces d’un prix fou ; vous en verrez trois ou quatre dans le même appartement, mais je vous défie d’y trouver un seul tableau à l’huile. Nous avons des artistes ; qui est-ce qui achète leurs toiles ? des étrangers : tandis qu’en Europe, c’est le luxe le plus à la mode, ici on ne sait pas ce que c’est qu’un tableau de salon.

— Il y aurait bien des réformes à faire dans la société telle