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CHARLES GUÉRIN.

— Oui, et il n’y aura pas moyen de ne pas faire monter cela en acajou.

— Justement, c’est si économique : les laines, le velours, l’acajou, le salaire de l’ouvrier, ne coûtent que sept ou huit fois le prix d’un tabouret en crin, que l’on achèterait tout bonnement dans la boutique d’un ébéniste.

— Mais, vous n’y pensez-pas non plus ; quel progrès pour les beaux-arts !

— Deux fauteuils en laines, montés en acajou, ce serait encore une grande économie et un grand progrès. Il ne faudra pas dire par exemple que les laines sont importées d’Allemagne tout assorties, et que l’acajou ne croît pas dans ce pays-ci.

— Ah ! voici où je vous prends ; mes fauteuils seront montés en érable piqué.

— De l’érable piqué ! Fi donc ! Ça tuerait tout l’effet des dessins. Il faut quelque chose qui fasse paraître les couleurs avec plus d’avantage. Quand on veut se mêler de beaux-arts, il faut du goût, et le goût n’admet pas de compromis. Tes fauteuils seront brodés sur velours avec monture en acajou, c’est-à-dire en mahogany ; car les gens comme il faut ne parlent qu’à moitié français : et je suppose que madame Guilbault aura été bien élevée.

— À présent, il est impossible d’avoir un piano, et des fauteuils, sans un sopha.

— Encore plus impossible d’avoir un sopha sans un tapis de Bruxelles…

— Fait en Angleterre, comme les tapis de Turquie et les vins de Champagne !

— Bref, mon cher Guilbault, te voilà dans tes meubles le plus patriotiquement du monde.

— Ce n’est pas tout, monsieur Voisin, vous oubliez la toilette. Croyez-vous, quand on a un salon semblable, et une femme qui