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CHARLES GUÉRIN.

volumes de law reports, publiés en Angleterre et aux États-Unis. Comme ces derniers (non plus que le nouveau droit français) n’ont pas la moindre force de loi, ce sont ordinairement des autorités invincibles, auxquelles la conscience des juges ne manque jamais de se rendre. À propos des juges ; savez-vous que vous avez tort d’étudier ? Sérieusement, mon cher, si vous vous mettez trop de science dans la tête, la première fois que vous vous trouverez en contact avec ces messieurs, vous éprouverez un choc tel que votre raison aura de la peine à y tenir. Savez-vous que, lorsque j’ai plaidé ma première cause, pas plus tôt, ni plus tard que la semaine dernière, le juge m’a cité les lois romaines, les lois d’un pays à esclaves, pour prouver qu’en Canada et au dix-neuvième siècle, un maître a le droit de battre et de fustiger son domestique tout autant que ça lui convient ?[1]

— Eh bien ; mais, c’était savant cela, j’espère !

— Il aurait pu citer le code noir, tout de même.

— Vous voyez, mon cher monsieur, que vous avez tort d’étudier la profession comme une science. Il vaut mieux l’apprendre comme un métier.

— Au fait, lorsque je réfléchis sur l’immense quantité de matières dont se compose cette étude, je ne conçois pas comment, sans professeurs, on peut venir à bout de distinguer ce qui s’applique au pays d’avec ce qui ne s’y applique pas.

— C’est une distinction qui ne se fait guères non plus. Il n’y a pas de jurisprudence établie. Il n’y en aura jamais.

— Qu’importe après tout, si à la longue on peut se faire une existence ? Qu’importe que tout cela soit absurde, si à la fin ça fait vivre son homme ?

— Oui, eh ! bien, vous vous trompez encore. On ne se fait pas d’existence assurée. Il n’y a rien de si fugitif que la

  1. Historique.