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CHARLES GUÉRIN.

elle me l’a dit, ça serait bien triste, si nous n’étions pas amies. Si tu savais comme elle est bonne pour moi, comme nous nous aimons déjà ! Elle m’a emmenée souper et passer la soirée chez elle bien malgré maman. Elle a fait de la musique pour moi toute la soirée, justement comme elle aurait fait pour un cavalier. Elle m’a donnée de belles fleurs qui poussent dans une serre, et elle m’a prêté de jolis petits livres ; mais maman ne veut pas que je les lise. Elle les a mis dans une armoire, et elle me les donnera dans quelque temps pour que je les rende à Clorinde tout de suite. Cela s’appelle “ Les lettres à Sophie. ” Maman dit que c’est bien mauvais, et que Clorinde est bien malheureuse d’avoir un père qui ne prend pas garde à ce qu’elle peut lire.

« Maman ne veut pas croire que ce soit seulement pour faire une amie, que Clorinde me fait toutes ces amitiés-là. Elle dit que M. Wagnaër n’a pas fait une démarche comme celle-là sans avoir d’autres intentions. Depuis cette visite de M. Wagnaër et de sa fille, cette pauvre mère n’a pas fermé l’œil des nuits. Il faut que ça soit des gens bien terribles, puisque leurs caresses font tant de peur !

« Depuis le départ de Pierre, cette pauvre maman a peur de tout. Chaque fois qu’elle reçoit une lettre de toi, elle l’ouvre en tremblant. Elle a fait écrire par M. de Lamilletière, en Angleterre et en France, pour avoir des nouvelles de notre frère. Heureusement personne ne lui a parlé du vaisseau qui a fait naufrage la nuit où tu nous a apporté cette mauvaise nouvelle. J’ai eu toute la peine du monde à faire taire les domestiques, et, chaque fois qu’il vient quelqu’un du voisinage à la maison, je reste là ; je me place toujours de manière à ce que maman ne me voie pas le visage, et quand ils viennent pour parler de cela, je leur fais des signes… des signes. Ce qui me console un peu, c’est qu’il paraît que la plus grande partie de l’équipage était descendue dans les chaloupes, ils