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CHARLES GUÉRIN.

VII.

CAPRICE ET DEVOIR.



SI le bonheur de l’homme consiste dans l’accomplissement de ses devoirs, une disposition de l’esprit qui lui fait préférer à tout, son plaisir du moment, doit finir par empoisonner son existence. Cette tendance, soit que l’on convienne de l’appeler caprice, fantaisie, légèreté de caractère, esprit romanesque, suivant les divers aspects sous lesquels elle se développe, devient une véritable tyrannie pour celui qui ne sait pas y résister dès le principe. Les plus beaux talens, les cœurs les plus généreux, ont été souvent frappés d’impuissance sans que personne ait pu s’en rendre compte ; des hommes d’avenir et de fortune sont quelquefois descendus degrés par degrés de leur haute position, au grand étonnement de la foule et à leur propre étonnement ; tandis qu’en interrogeant le souvenir des luttes intérieures de leur âme, ils se seraient convaincus, que bien loin d’acquérir de l’énergie en se rendant indépendante, leur volonté était devenue nulle par l’excès même de son indépendance, le jour où ils s’étaient dit pour la première fois : je ne ferai pas maintenant, ce qui est utile, je ferai d’abord, ce qui m’est agréable.

Il y a un âge dans la vie, où l’on ne saurait être trop en garde contre ce danger, c’est le moment de la transition de l’adolescence à la virilité ; c’est l’époque de l’initiation à la vie réelle et active, au sortir de la vie méditative des études collégiales. Les jeunes gens, qui ont plus d’imagination que de jugement et de sensibilité, se laissent aller plus volontiers que