Page:Chavette - Les Petites Comédies du vice, 1890.djvu/176

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— L’appétit est donc revenu ?

— Dame ! À mon âge, on ne peut pas uniquement vivre de soupe ! Et puis, les repas occupent le temps car, ainsi que vous le disiez, quand l’élément féminin manque dans une traversée, on s’ennuie grandement à bord.

— Je croyais que vous occupiez le temps à écrire ?

— J’ai mis tout mon cœur dans une lettre, je ne veux pas toujours répéter la même chose.

— Il est fâcheux que cette distraction vous manque, car le voyage menace de se prolonger ; le temps va changer.

— Qui vous a dit cela ?

— La femme de chambre des premières.

— À propos, avez-vous remarqué que cette créature possède des cheveux magnifiques ? me demanda l’amoureux de la belle Marie.

Le vent, qui était devenu contraire, nous avait jetés loin de notre route et le jour de notre arrivée au port ne pouvait plus se préciser. Mon héros dévorait maintenant à belles dents, mais sa tristesse envolée avait fait place à un certain malaise. Les forces vitales, un instant assoupies par la douleur, se réveillaient terribles dans cette nature vivace sur laquelle pesait lourdement la vie cloîtrée du bord. Il était arrivé à ce moment d’ennui où tout prisonnier demande à apprivoiser une araignée.