C'est là qu'à l'honorable on peut joindre l'utile ;
Sur la gloire et le gain établir sa maison,
Et ne devoir qu'à soi sa fortune et son nom.
Ce mélange de gloire et de gain m'importune.
On doit tout à l'honneur et rien à la fortune. [1150]
Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier,
À tout l'or du Pérou, préfère un beau laurier.
L'avocat se peut-il égaler au poète ?
De ce dernier la gloire est durable et complète ;
Il vit longtemps après que l'autre a disparu. [1155]
Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru.
Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome,
Lieux propres autrefois à produire un grand homme.
L'antre de la chicane et sa barbare voix
N'y défiguraient pas l'éloquence et les lois. [1160]
Que des traces du monstres on purge la tribune,
J'y monte, et mes talents, voués à la fortune,
Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger.
Mais l'abus ne pouvant si tôt se corriger,
Qu'on me laisse, à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire, [1165]
Des titres du Parnasse anoblir ma mémoire,
Et primer dans un art plus au-dessus du droit,
Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit.
La fraude impunément, dans le siècle où nous sommes,
Foule aux pieds l'équité, si précieuse aux hommes : [1170]
Est-il, pour un esprit solide et généreux,
Une cause plus belle à plaider devant eux ?
Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,
C'en est fait : pour barreau, je choisis le théâtre ;
Pour client, la vertu ; pour lois, la vérité ; [1175]
Et pour juges, mon siècle et la postérité.
Eh bien ! Porte plus haut ton espoir et tes vues.
À ces beaux sentiments les dignités sont dûes.
La moitié de mon bien remise en ton pouvoir,
Parmi nos sénateurs, s'offre à te faire asseoir. [1180]
Ton esprit généreux, si la vertu t'est chère,
Si tu prends à sa cause un intérêt sincère,
Ne préférera pas, la croyant en danger,
L'effort de la défendre au droit de la juger.