Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense.
Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance ;
Mais le remède est simple : il faut faire comme eux ;
Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux ;
Et tarissant la source où puise un beau délire, [1225]
À tous nos successeurs ne laissons rien à dire.
Un démon triomphant m'élève à cet emploi.
Malheur aux écrivains qui viendront après moi !
Va, malheur à toi-même, ingrat ! Cours à ta perte !
À qui veut s'égarer, la carrière est ouverte. [1230]
Indigne du bonheur qui t'était préparé,
Rentre dans le néant dont je t'avais tiré.
Mais ne crois pas que, prêt à remplir ma vengeance,
Ton châtiment se borne à la seule indigence.
Cette soif de briller, où se fixent tes voeux, [1235]
S'éteindra, mais trop tard, dans des dégoûts affreux.
Va subir du public les jugements fantasques,
D'une cabale aveugle essuyer les bourrasques,
Chercher en vain quelqu'un d'humeur à t'admirer,
Et trouver tout le monde actif à censurer ! [1240]
Va, des auteurs sans nom, grossir la foule obscure,
Égayer la satire, et servir de pâture
À je ne sais quel tas de brouillons affamés
Dont les écrits mordants sur les quais sont semés !
Déjà dans les cafés tes projets se répandent. [1245]
Le parodiste oisif et les forains t'attendent.
Va, après t'être vu, sur leur scène, avili,
De l'opprobre, avec eux, retomber dans l'oubli !
Que peut contre le roc une vague animée ?
Hercule a-t-il péri sous l'effort du pygmée ? [1250]
L'Olympe voit en paix fumer le mont Etna.
Zoïle contre Homère en vain se déchaîna ;
Et la palme du Cid, malgré la même audace,
Croît et s'élève encore au sommet du Parnasse.
Jamais l'extravagance alla-t-elle plus loin ? [1255]
Eh bien ! Tu braveras la honte et le besoin.
Je veux que ton esprit n'en soit que plus rebelle,