Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/144

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connaissent m’en ont cruellement plaisanté. Je vous l’avoue en rougissant, j’adore la pêche à la ligne. Quand Mme de Penneville m’envoya à Lausanne pour y traiter une affaire de famille, je me consolai de ce dérangement, en me disant : Lausanne est près d’un lac, je pêcherai. Mon premier soin en arrivant fut de me procurer des lignes et tout l’attirail nécessaire. Je n’osais pas pêcher dans votre voisinage, craignant d’être surpris et que mon neveu ne se moquât de moi. Je m’informai ; on m’assura qu’il se trouvait en Savoie, près d’Évian, un joli petit parage très poissonneux. Il y a une auberge sur la côte ; j’y louai une chambre, où j’installai mes engins, et chaque matin je traversais le lac pour aller satisfaire ma passion. Puisque je vous ai promis d’être véridique comme Amen-Heb, grammate principal, voyez un peu à quoi m’entraîne cette fureur. Je quittai Lausanne pour Ouchy dans l’unique dessein de me rapprocher du poisson ; j’oubliai si bien l’affaire qui m’avait amené que j’allai voir deux fois seulement mon neveu, un jour qu’il ventait et un jour qu’il pleuvait, parce que ces jours-là on ne pêche pas ; enfin je refusai deux invitations à déjeuner des plus attrayantes, parce qu’en m’y rendant je me serais privé pendant deux journées entières du