Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/196

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la lampe, et le verre venait de sauter. Il ne paraissait pas prêter la moindre attention à cet accident. Au moment où je rouvris les yeux, il était assis au pied de mon lit, raide comme un piquet, les bras croisés sur sa poitrine, regardant d’un œil fixe quelque chose ou quelqu’un que je ne voyais pas. Je lui criai : — Et la lampe ! — Il sentit comme une secousse dans tout son corps et se retourna vivement de mon côté ; il avait l’air d’un homme qui sort d’un puits où il a passé vingt-quatre heures et qui est tout étonné de revoir le soleil. Il se leva, sourit, vint à moi, posa ses deux doigts sur mes paupières pour les refermer, m’appliqua un grand baiser sur le front, et sortit à pas de loup.

« Je ne le revis pas le lendemain ; il m’écrivit un mot pour m’annoncer que deux de ses plus chers amis, de ses amis d’enfance, étaient arrivés à Paris, et qu’il se croyait tenu en conscience de leur en faire les honneurs, qu’il craignait de n’avoir pas un moment à lui. Je n’en fus pas fâchée ; depuis deux jours, je me sentais un peu refroidie pour lui. Son incartade à Villebon, la querelle qu’il avait cherchée à l’aubergiste, l’effet bizarre que faisait sur lui la lecture des journaux, l’incident de la lampe, cet homme assis au pied de mon lit, le regard perdu dans les espaces, tout cela me