Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/205

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dire que ce vieux roquentin avait eu de grands torts à mon égard. Il m’avait solennellement promis un rôle dans la nouvelle pièce qu’on répétait, et il avait eu l’infamie de le donner à la grande Mathilde. J’avais juré d’en tirer vengeance. Oh ! oui, j’étais bien jeune, je ne prenais pas encore la vie au sérieux, je ne savais pas ce qu’il en coûte d’avoir la tête et le pied trop légers, et qu’il suffit d’une escapade pour compromettre toute une carrière… Après cela, il faut vous dire aussi qu’une superbe occasion s’offrait à moi de voir l’Italie.

— Dites-moi tout d’un temps qui c’était, repartis-je à Mlle Perdrix.

— De quoi vous mêlez-vous, docteur ? vous êtes curieux, beaucoup trop curieux. »

Et après avoir rêvé un instant :

« Ce que c’est que de nous, et à quoi tient le cœur d’une femme ! Je vous jure que cette villa était un amour de villa, plantée au bord d’un amour de lac. Figurez-vous que de mon balcon je pouvais pêcher des truites à la ligne. Pendant deux semaines, je fus heureuse, parfaitement heureuse ; je me croyais en paradis. Mais un matin, je m’aperçus que mon paradis m’ennuyait, que mon bonheur sonnait creux, qu’il me manquait quelque chose, que le charme de la vie est d’avoir