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LE COMTE KOSTIA

nerfs qui vous tourmentent Je parierais plutôt qu'en dépit de votre déniaisement vous avez cru autrefois en quelque chose ou en quelqu'un qui vous a manqué de parole. — Mais je n'ai eu garde de lui faire part de mes suppositions; je crois qu'il m'aurait dévoré. Les colères de cet homme sont terribles, et il ne m'en épargne pas toujours le spectacle.

« Hier surtout il s'est livré à des emportements dont j'ai rougi pour lui. Stéphane était allé faire une promenade à cheval avec Ivan. La cloche du dîner sonna, ils n'étaient pas encore de retour. Le comte se porta de sa personne à l'entrée de la cour, pour les attendre. Ses lèvres étaient pâles; sa voix était sourde, rauque, voilée par un enrouement qui lui vient dès que la colère le prend. Quand les coupables parurent au bout du sentier, il courut au-devant d'eux, et toisa Stéphane de la tête aux pieds avec un regard si menaçant que l'enfant trembla de tous ses membres ; mais sa colère se rabattit tout entière sur Ivan. Le pauvre geôlier avait pourtant de bonnes excuses à alléguer : le cheval de Stéphane avait fait une chute et s'était blessé au genou ; il avait fallu revenir au pas. Le comte paraissait ne rien entendre. Il fit signe à Ivan de descendre de selle ; cela fait, il le saisit au collet, lui arracha sa houssine et le battit comme un chien. Le malheureux serf se laissa fustiger sans faire un mouvement, sans pousser un cri, et l'idée ne lui vint pas d'essayer de s'enfuir ou de se défendre. Cloué sur place, les yeux fermés, c'était l'image vivante de la servitude résignée aux derniers outrages. En vérité, je crois que pendant cette exécution j'ai souffert plus que lui. J'avais la gorge serrée, mon sang bouillonnait dans mes veines. Mon