Aller au contenu

Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
6
LE COMTE KOSTIA

chef-d’œuvre de sagace érudition. Il espéra quelque temps que ce premier succès, qui l’avait mis en renom parmi le monde savant, l’aiderait à obtenir quelque poste lucratif et à sortir de la situation précaire où il se trouvait. Il n’en fut rien. Son mérite forçait l’estime ; la rondeur de ses manières et le charme de son commerce lui conciliaient la bienveillance ; ses relations étaient nombreuses : il était accueilli et caressé. Il obtint même, sans l’avoir recherchée, l’entrée de plus d’un salon où il rencontrait des hommes en position de lui être utiles et d’assurer son avenir. Tout cela pourtant ne lui servit de rien, et de places, point de nouvelles ! Ce qui lui nuisait le plus, c’était cette indépendance d’opinions et de caractère qui était dans son sang. Rien qu’à le voir, on devinait en lui un homme incapable de se laisser lier les mains, et la seule langue que cet habile philologue ne pût apprendre, c’était le jargon d’une coterie. Ajoutez à cela que Gilbert était une âme contemplative et qu’il en avait les fiertés et les indolences. Faire des démarches, se remuer, solliciter, lui était un supplice. On pouvait oublier impunément une promesse qu’on lui avait faite, il n’était pas homme à revenir à la charge, et d’ailleurs, ne se plaignant jamais, on n’était pas tenté de le plaindre. Bref, parmi les personnes qui eussent été à même de le protéger et de le pousser, les unes disaient sans le penser : « Qu’a-t-il besoin de notre aide ! Un talent si remarquable fera bien son chemin tout seul, » D’autres pensaient sans le dire, prenons-y garde : « C’est un autre Letronne, Une fois le pied à l'étrier, Dieu suit où il s’arrêtera. » D’autres enfin disaient et pensaient : « Ce jeune homme