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LE COMTE KOSTIA

ture que sa philosophie ne semblait le lui permettre. Il se remit en chemin d’un air pensif ; il voyait toujours devant lui la figure blême et décomposée de l’enfant. « Cet excès de désespoir, se disait-il, marque une âme orgueilleuse et passionnée ; mais la perfidie dont il a payé ma générosité est d’un cœur vil et dépravé… » Et se frappant le front : « Mais j’y pense : à en juger par son nom, ce jouvenceau pourrait bien être le fils du comte Kostia. Ah ! l’aimable compagnon que j’aurai là pour égayer ma captivité ! M. Leminof aurait dû me prévenir. C’était un article à noter dans le cahier des charges. »

Gilbert avait le cœur serré ; il se voyait déjà condamné à défendre incessamment sa dignité contre les taquineries et les insolences d’un enfant mal élevé, et cette perspective l’attristait. Il se plongea si profondément dans ses réflexions mélancoliques qu’il se trompa de chemin. Il dépassa l’endroit où il devait quitter la grande route pour gravir la colline escarpée dont le château formait le couronnement. Par bonheur, il fit la rencontre d’un passant qui le remit sur la voie. La nuit était déjà obscure lorsqu’il fit son entrée dans la cour du vaste manoir. Ce grand assemblage de constructions discordantes ne lui apparut que comme une masse sombre dont le poids l'écrasait. Il démêlait seulement une ou deux tourelles élancées dont les toits pointus se profilent sur le ciel étoilé. Au moment où il cherchait à se reconnaître, d’énormes dogues furieux se ruèrent sur lui, et il eût été dévoré, si, au bruit de leurs aboiements, un valet de chambre haut de six pieds et fort roide d’encolure ne fût sorti au-devant de lui une lanterne à la main. Dès que Gilbert eut décliné