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Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/46

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LE COMTE KOSTIA

trer le chemin ; elle chemine d’elle-même, et je la suis comme Martin son âne. Et puis les plaisirs ne nous manquent pas. Écoutez plutôt.

« Notre château est une longue enfilade de corps de logis lézardés dont nous habitons le seul habitable. Je suis logé tout seul dans une tourelle qui commande une vue magnifique. J’ai un grand précipice sous ma fenêtre. Je peux dire : « Ma tourelle, mon précipice ! » O mes pauvres Parisiens, vous ne comprendrez jamais tout ce qu’il y a dans ces deux mots : Mon précipice ! Qu’est-ce donc qu’un précipice ? s'écrie Mme Lerins. C’est un grand creux. Eh ! mon Dieu, oui, madame, c’est un grand creux ; mais songez que ce matin ce creux était d’un bleu foncé, et que ce soir, au coucher du soleil, il était… tenez, de la couleur de vos capucines. J’ai ouvert ma fenêtre et j'ai mis le nez à l’air pour humer l’odeur de cet admirable précipice, car j’ai découvert que le soir les précipices ont une odeur. Comment vous dirai-je ? C’est un parfum de rochers grillés par le soleil, auquel se mêle un arme subtil d’herbe sèche. Cela fuit un mélange exquis… J’étais donc à ma fenêtre quand sur ma droite, à quatre-vingts pieds au-dessous de moi, j’ai vu surgir derrière un buisson de rhododendrons les cornes et la tète d’une chèvre blanche. Il faut savoir que du côté du Rhin mon gouffre ou mon abîme, comme vous voudrez l’appeler, est flanqué d’un tertre gazonné au penchant duquel serpente un sentier. C’est par là qu’avait grimpé cette amazone à pattes blanches, et de grand cœur elle eût monté plus haut ; mais quel moyen ? Elle se trouvait au pied d’une formidable corniche de rochers que je défie