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LE COMTE KOSTIA

qui me plaise ? C'est Judas. Oh ! pour celui-là, il est tout à fait dans son rôle. Il a vraiment la figure de l'emploi. J'ai une affection particulière pour ce jeune-premier. Voyez comme il lorgne amoureusement la bourse de cuir qu'il tient à la main ! C'est la dame de ses pensées… Le voilà qui commence à chanter. Que va-t-il nous dire ?… Juste ciel ! il déplore, lui aussi, son péché. Est-ce que la race innombrable des Judas connaît le repentir ? Leurs trahisons sont des prouesses dont ils sont fiers… Oh ! pour le coup, je retire mon amitié à ce jeune traître ; ses accents mielleux me révoltent. »

Depuis longtemps, Gilbert promenait autour de lui des regards inquiets ; il cherchait une issue pour s'évader, mais la foule était si compacte qu'il était impossible de s'y frayer un chemin. Il se vit donc forcé de demeurer en place et de subir jusqu'au bout le désolant monologue de Stéphane. Il affectait de ne pas entendre, et dissimulait son impatience du mieux qu'il pouvait ; mais elle était si vive qu'elle se trahissait malgré lui, au grand divertissement de Stéphane, qui jouissait malignement du succès de ses lazzis. Heureusement pour Gilbert, quand Judas eut fini de chanter, la procession se remit en marche pour aller faire une seconde station à l'autre extrémité du village, et il se fit aussitôt un grand mouvement dans l'assistance, qui forma la haie sur son passage. Gilbert profita de ce désordre pour s'échapper, et il se perdit dans la foule, où les yeux perçants de Stéphane ne purent le retrouver.

Il se hâta de sortir du village et reprit le chemin des bois. « Décidément, se disait-il, ce Stéphane est