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Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/64

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LE COMTE KOSTIA

un fâcheux. Il y a trois semaines il est venu me surprendre auprès d'une claire fontaine où je rêvais délicieusement, et il a mis mes songes en déroute. Aujourd'hui il m'a gâté, par son importun babil, une fête où je prenais intérêt et plaisir. Que me tient-il en réserve pour l'avenir ? Le mal est que désormais je serai condamné à le voir tous les jours. Aujourd'hui même, dans quelques heures d'ici, je le retrouverai à la table de son père. Les pressentiments ne sont pas toujours trompeurs ; à première vue, j'ai cru reconnaître en lui un ennemi juré de mon repos et de mon bonheur ; mais je saurai bien le tenir à distance. N'allons pas nous mettre martel en tête pour une misère. Que serait-ce donc que la philosophie, si le bonheur d’un philosophe était à la merci d'un enfant mal élevé ? »

Là-dessus, il tira de sa poche un livre qui l’accompagnait souvent dans ses promenades : c’était un volume des œuvres de Gœthe qui renfermait l’admirable traité de la Métamorphose des plantes. Il se mit à lire, levant de temps en temps le nez de dessus la page pour considérer un nuage voyageant dans le vague des airs ou un oiseau qui voltigeait d’un arbre à l’autre. Il se livrait depuis près d'une heure à cette douce occupation quand il entendit derrière lui le hennissement d'un cheval. Il retourna la tête et vit apparaître Stéphane, arrivant bride abattue sur son magnifique alezan et escorté de son groom, qui le suivait à dix pas de distance, monté sur un cheval gris. Gilbert eut un instant l’idée de s'élancer dans un sentier qui s'ouvrait sur sa gauche et de gagner l'épaisseur du taillis ; mais il ne voulut pas donner à Stéphane le plaisir de s’imaginer qu’il