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LE COMTE KOSTIA

soupissement était une ruse de guerre destinée à mettre en liberté les langues enchaînées de ses convives. Gilbert craignit que Stéphane, sortant de sa rêverie, ne crût pouvoir lui adresser impunément quelque propos hardi que l'oreille attentive du maître saisirait au passage. Il prit le parti de feindre lui aussi le sommeil, et, se renversant sur le dossier de sa chaise, il ferma les yeux et laissa tomber sa tête sur sa poitrine. Cette situation se prolongea quelque temps, et Gilbert était déjà fort empêché de son rôle d'homme endormi, lorsque par bonheur le père Alexis, qui venait d'expédier sa dernière figue, poussa un long soupir. Ce fut pour le comte un prétexte suffisant de se réveiller; il se redressa sur son siège, passa la main sur ses yeux, sonna pour qu'on servît le thé, et dès que les tasses furent vides, il pressa amicalement la main de Gilbert, et sortit de la salle, suivi de Stéphane et du pope.

Quand Gilbert fut rentré dans sa chambre, il ouvrit la fenêtre pour mieux entendre le grondement majestueux du fleuve. Au même instant, une voix que lui apporta le vent, et qui partait de la grosse tour carrée, lui cria :

« Monsieur le grand-vizir, n'oubliez pas de brûler force chandelles au diable; c'est le conseil que vous donne votre plus fidèle sujet en retour des profondes leçons de sagesse dont vous avez gratifié aujourd'hui son inexpérience ! »

Ce fut ainsi que Gilbert apprit que Stéphane était son voisin.

« Ce qui me console, pensa-t-il, c'est qu'à moins d'avoir des ailes, je le défie bien d'arriver jusqu'ici… » Et il ajouta en refermant sa fenêtre :