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ARTISTES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

Sans qu’il ait versé dans l’exclusive passion pour la couleur qui a saisi M. Whistler, on peut dire cependant que la couleur occupe une place considérable dans les préoccupations d’artiste de M. Burne-Jones. Sans affecter, comme l’artiste que nous venons de nommer, de susciter, par le titre au moins de ses ouvrages, les sensations d’un autre art, sans parler de nocturnes ni de symphonies, il est certain cependant que l’auteur de Merlin et Viviane attache à la coloration générale de ses peintures une valeur d’expression propre qui doit concourir à l’expression d’ensemble de la Composition. Cette arrière-pensée est très apparente en chacun de ses tableaux et notamment dans les six panneaux décoratifs exposés à Grosvenor en 1878, et qui font aujourd’hui partie de la précieuse collection de M. Frederick Leyland à Woolton Hall près de Liverpool : les Quatre Saisons, le Jour et la Nuit.

Chaque saison est représentée par une seule figure, une figure de femme debout dans une sorte de loggia étroite et haute. Sa silhouette se découpe comme dans la convention pompéienne sur une draperie à longs plis suspendue assez haut et au-dessus de laquelle court une frise de branchages chargés de feuilles, de fleurs, de fruits ou dépouillés selon les saisons, et la coloration générale de chacune d’elles dans la nature est rappelée par la combinaison des tons en chaque tableau. Dans le Printemps, la femme porte une robe d’un vert très doux qui s’enlève sur le ton d’or du rideau de fond ; dans l’Été, c’est un concours de verts, le rideau étant d’un vert intense et la robe vert olive avec des passages d’or pâle ; dans l’Automne, c’est un concours de rouges, robe pourpre, rideau rouge éteint ; dans l’Hiver, la robe blanche oppose sa pâleur de neige aux tons sombres du manteau d’un gris noir et aux gris dorés de la draperie de fond. Seules les figures du Jour et de la Nuit se détachent sur un fond de ciel ; la Nuit en robe de deux tons bleus, variés seulement par leur intensité, sur le turquoise profond de l’a voûte céleste, poudroyante d’étoiles et éclairant des pâles lueurs d’un clair de lune invisible le sombre azur de la mer. Le Jour, qui est à mes yeux la plus heureuse invention de la série, est représenté par un jeune éphèbe entrant la torche à la main dans l’intérieur de la loggia dont il a du dehors poussé la porte. Tout chante l’aurore en cette très belle page, depuis le ciel aux blancheurs laiteuses qui s’étend au loin, au-dessus et au delà d’une grande ville maritime, depuis la blancheur d’ivoire teinté de rose du corps nu de l’adolescent, jusqu’au porte-flambeau lui-même avec sa belle tête légèrement inclinée en arrière et qui semble chanter les vers que M. William Morris a écrits à ce sujet :

   I am Day, I bring again
   Life and Glory, Love and Pain ;
   Awake, arise ! From Death to Death
   Throug me the World’s taie quickeneth.

Ces jolis vers sont tracés sur un petit cartouche placé au seuil de la loggia, sorte de marche ouverte sur l’infini et au-dessous de laquelle se déploie un motif de paysage décoratif, ici de molles ondulations de terrain.

La même disposition se retrouve en chaque panneau. Au-dessus des landes de la Nuit, on lit :

   I am Night, and bring again
   Hope of Pleasure, Rest from Pain,
   Thoughts unsaid ; Trust, Life, and Death,
   My truthful silence quickeneth.

La naïve figure du Printemps relève sa robe par un geste d’une exquise gaucherie et d’une douce petite voix virginale chante gentiment les quatre vers suivants :

   Spring am I, too soft of heart
   Much to speak ère I départ ;
   Ask the Summer-tide to prove
   The abundance of niy love.

Tournée vers le spectateur, elle tient en main une branche de pommier fleurie.