Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/101

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pagnons. On eût pourtant dit, à les voir, qu’ils subissaient pour la première fois cette impression d’étonnement. Ils s’agitaient sur leurs sièges, fébrilement, tous, excepté Syme. Immobile, il serrait, dans sa poche, la crosse de son revolver, s’apprêtant à vendre chèrement sa vie : on saurait enfin si le Président était mortel.

Dimanche reprit, d’une voix égale :

— Vous le devinez sans doute : pour proscrire, de ce festival de la liberté, la liberté de la parole, je ne puis avoir qu’un seul motif. Peu importe que des étrangers nous entendent. Il est entendu pour eux que nous plaisantons. Ce qui importe, ce qui a une importance capitale, c’est qu’il y a parmi nous un homme qui n’est pas des nôtres, un homme qui connaît nos graves desseins et qui n’a pour eux aucune sympathie, un homme…

Le secrétaire poussa un cri perçant, un cri de femme, et se leva d’un bond :

— C’est impossible !… Il est impossible que…

Le Président abattit sur la table sa main, large comme la nageoire d’un poisson énorme.

— Oui, prononça-t-il avec lenteur, il y a dans cette chambre un espion. Il y a un traître à cette table. Je ne perdrai pas un mot de plus. Il se nomme…

Syme se leva à demi, le doigt sur la détente de son revolver.

— Il se nomme Gogol, continua le Président : c’est ce charlatan chevelu qui se prétend Polonais.