Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/109

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dans un petit restaurant de Soho pour y prendre son lunch.

Il mangea de trois ou quatre plats, tout en réfléchissant, but une demi-bouteille de vin rouge et termina par une tasse de café accompagnée d’un cigare. Il avait choisi sa place dans la salle du premier étage, où retentissaient indiscontinûment le cliquetis des couteaux et des fourchettes et le bruit des conversations, en langues étrangères. Il se rappela que, jadis, il avait soupçonné d’anarchisme ces braves et inoffensifs étrangers, et il frissonna en songeant à ce que c’était qu’un véritable anarchiste. Mais, tout en frissonnant, il songea aussi qu’il avait fui, et il en eut une impression mêlée de quelque honte et de beaucoup de plaisir. Le vin, la nourriture, qui n’avait rien d’extraordinaire, le caractère familier de l’endroit, les visages de ces hommes bavards et simples, tout le rassurait, et il était tenté de croire que le Conseil des Sept n’était qu’un mauvais rêve ! Bien qu’il fût obligé de convenir en lui-même que le terrible Conseil n’avait rien de chimérique, ce n’était, du moins, pour l’instant, qu’une réalité lointaine. De grandes maisons, des rues populeuses, le séparaient des maudits Sept. Il était libre, dans une ville libre, et il buvait son vin parmi des hommes libres.

Avec un soupir de soulagement, il prit son chapeau et sa canne, et descendit dans la salle du rez-de-chaussée, qu’il devait traverser pour sortir.