Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/131

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— C’est moi qui l’ai dénoncé.

— Expliquez-vous !

— Avec plaisir, si vous voulez bien écouter mon histoire, répondit l’éminent philosophe. Je suis, de mon métier, acteur, et je me nomme Wilks. Quand j’étais sur les planches, je fréquentais toutes sortes de bohèmes et de coquins. J’avais des accointances parmi la racaille du turf, les artistes ratés et aussi les réfugiés politiques. Un jour, dans une taverne où ces rêveurs exilés se rencontraient, je fus présenté à ce grand philosophe nihiliste, l’Allemand de Worms. Je n’observai en lui rien de très particulier, si ce n’est son aspect physique, qui était répugnant, et que je me mis à étudier avec soin. Autant que j’ai pu le comprendre, il prétendait démontrer que Dieu est le grand principe destructeur de l’univers ; d’où il déduisait la nécessité d’une énergie furieuse et de tous les instants qui brisât tout. « L’Énergie, disait-il, l’Énergie est tout. » Il était perclus, myope, à demi paralytique. Quand je fis sa connaissance, il se trouva que j’étais en goût de plaisanter, et, justement parce qu’il m’inspirait une profonde horreur, je résolus de le singer. Si j’avais su dessiner, j’aurais fait sa caricature. Je n’étais qu’un acteur, et je ne pus que devenir, moi-même, sa caricature. Je me grimai donc à sa ressemblance, en exagérant toutefois un peu la dégoûtante caducité de mon modèle. Ainsi fait, je me rendis dans un salon où se réunissaient les admirateurs du professeur. Je m’attendais