Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Syme put enfin, pour la première fois, faire le récit de son incroyable aventure, depuis le moment où Gregory l’avait introduit dans la petite taverne, près de la rivière. Il fit ce récit avec abondance, sans se presser, comme un homme qui conte une histoire à de très anciens amis. De son côté, le professeur de Worms ne fut pas moins communicatif. Son histoire était presque aussi ridicule que celle de Syme.

— Votre déguisement est excellent, dit Syme en vidant un verre de mâcon. Il vaut mille fois celui de ce vieux Gogol. Dès le premier regard, je l’avais trouvé trop chevelu.

— Nous avons, lui et moi, deux différentes conceptions de l’art, répondit le professeur, pensif. Gogol est un idéaliste. Il a fait de sa propre personne la représentation idéale, platonicienne, de l’anarchiste. Moi, je suis un réaliste. Je suis un portraitiste, encore n’est-ce pas assez dire : je suis un portrait.

— Je ne comprends pas.

— Je suis un portrait, répéta le professeur. Je suis le portrait du fameux professeur de Worms, qui, si je ne me trompe, est en ce moment à Naples.

— Vous voulez dire que vous vous êtes grimé à sa ressemblance, n’est-ce pas ? Mais, ne sait-il pas que vous abusez de son nez ?

— Il le sait parfaitement.

— Alors, pourquoi ne vous dénonce-t-il pas ?