Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/153

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attitude, mes gestes, tout trahissait en moi la respectabilité ; vu de dos, je ressemblais à la Constitution anglaise ; j’avais l’air trop bien portant, trop optimiste ; j’inspirais la confiance et respirais la bienveillance. Enfin, ils ne m’épargnèrent aucune injure, à Scotland Yard. Ils allèrent même jusqu’à prétendre que, si j’avais été un malfaiteur, j’aurais pu faire fortune avec mon air d’honnête homme, mais que, puisque j’avais le malheur d’être un honnête homme, je ne pouvais leur rendre aucun service en jouant le malfaiteur. On me présenta néanmoins au grand chef, un bonhomme qui doit porter sur ses épaules une tête solide. Devant lui, les autres firent diverses propositions. Celui-là voulait cacher mon sourire jovial sous une barbe touffue. Celui-ci pensait à me noircir la figure pour me déguiser en anarchiste nègre. Mais le vieux les fit taire : « Une paire de lunettes fumées fera l’affaire, dit-il ; regardez-le en ce moment, on dirait un angélique garçon de bureau ; mettez-lui des lunettes noires et les enfants crieront de terreur à son aspect. » Il disait vrai, par saint Georges ! Une fois mes yeux cachés, tout le reste, mon sourire, mes larges épaules, mes cheveux courts, tout contribua à me donner la mine d’un vrai diable d’enfer. Ce fut simple comme un miracle. Mais il y eut quelque chose de plus miraculeux encore, quelque chose de vraiment renversant. J’ai le vertige rien que d’y penser.

— Quoi donc ? demanda Syme.