Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/162

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si j’ose ainsi dire, entre moi et l’homme que je veux tuer. Et, puisqu’il m’est impossible, comme vous l’avez remarqué avec tant de finesse, de prévoir le tour que prendrait le dialogue, je n’ai, me semble-t-il, qu’à m’en charger moi-même, moi tout seul. Par saint Georges, c’est ce que je vais faire.

Il se leva brusquement. Ses cheveux blonds flottaient dans la fraîche brise marine.

Dans un café chantant, caché quelque part à peu de distance, parmi les arbres, on faisait de la musique ; une femme venait de chanter. Les cuivres aussitôt lui firent la même impression que, la veille, avait produite sur lui l’orgue de Barbarie de Leicester Square, quand il s’était décidé à braver la mort.

Il jeta un regard sur la petite table devant laquelle le marquis était assis. Le marquis avait maintenant deux compagnons, deux Français solennels, vêtus de redingotes et coiffés de chapeaux de soie. L’un d’eux portait la rosette de la Légion d’honneur. C’étaient évidemment des gens qui occupaient une solide position sociale. Auprès de ces personnages corrects, aux costumes cylindriques, le marquis, avec son chapeau de paille et ses légers habits de printemps, avait l’air bohème et même barbare ; pourtant on sentait en lui l’aristocrate qu’il était. Plus encore, à considérer l’extrême élégance physique du personnage, ses yeux où brillait le mépris, sa tête orgueilleusement dressée, qui se détachait sur le fond pourpre de la mer, on