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Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/249

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brillants étaient ceux d’un aveugle. Il peut, en effet, oublier, pendant des heures, que vous êtes là. Eh bien, la distraction, dans un méchant, nous épouvante. Un méchant doit, selon nous, être sans cesse vigilant. Nous ne pouvons nous représenter un méchant qui s’abandonnerait sincèrement, honnêtement, à ses rêves, parce que nous ne pouvons nous représenter un méchant seul avec lui-même. Un homme distrait est un brave homme. S’il s’aperçoit de votre présence, après l’avoir oubliée, il vous fera des excuses. Comment supporter l’idée d’un distrait qui vous tuerait s’il s’apercevait tout à coup que vous êtes là ? Voilà ce qui nous porte aux nerfs, la distraction unie à la cruauté. Ceux qui ont traversé les grandes forêts ont connu un sentiment de cet ordre, en songeant que les fauves sont à la fois innocents et impitoyables. Ils peuvent vous ignorer ou vous dévorer. Vous plairait-il de passer dix mortelles heures dans un salon, en compagnie d’un tigre distrait ?

— Et vous, Gogol, que pensez-vous de Dimanche ? demanda Syme.

— Je ne pense pas à Dimanche du tout, répondit Gogol : par principe. Je ne pense pas plus à Dimanche que je ne cherche à regarder le soleil à midi.

— C’est un point de vue, dit Syme pensif. Et vous, professeur ? Que dites-vous ?

Le professeur marchait, tête basse, en laissant traîner sa canne derrière lui. Il ne répondit pas.