Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/250

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— Réveillez-vous, professeur ! reprit Syme, gaîment. Dites-nous ce que vous pensez de Dimanche.

Enfin, le professeur se décida :

— Ce que je pense, dit-il avec lenteur, ne saurait s’exprimer clairement. Ou plutôt, ce que je pense, je ne puis même le penser clairement. Voici. Ma jeunesse, vous le savez, fut un peu trop débraillée et incohérente. Eh bien, quand j’ai vu la figure de Dimanche, j’ai d’abord constaté, comme vous tous, qu’elle est de proportions excessives ; puis, je me suis dit qu’elle était hors de proportion, qu’elle n’avait pas de proportions du tout, qu’elle était incohérente, comme ma jeunesse. Elle est si grande qu’il est impossible de la voir à la distance nécessaire pour que le regard puisse se concentrer sur elle. L’œil est si loin du nez que ce n’est plus un œil. La bouche tient tant de place qu’il faut la considérer isolément… Tout cela, d’ailleurs, est bien trop difficile à expliquer…

Il se tut un instant, laissant toujours traîner sa canne, puis il reprit :

— Je vais essayer de me faire comprendre. Une nuit, dans la rue, j’ai vu une lampe, une fenêtre éclairée et un nuage, qui formaient un visage, si parfait qu’il n’y avait pas moyen de s’y tromper. S’il y a quelqu’un, au ciel, qui porte un tel visage, je le reconnaîtrai. Mais bientôt je m’aperçus que ce visage n’existait pas, que la fenêtre était à dix pas de moi, la lampe à mille et le nuage au-delà