Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/25

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ma fureur et votre insulte ne soient trop grandes l’une et l’autre pour que des excuses puissent les faire oublier. Un duel ne les effacerait pas. Votre mort ne les effacerait pas. Il n’y a qu’un moyen d’en détruire la trace et je vais l’employer. Je vais vous prouver, au prix peut-être de ma vie et de mon honneur, que vous avez eu tort de dire ce que vous avez dit.

— Qu’ai-je dit ?

— Vous avez dit que je ne suis pas un anarchiste sérieux.

— Il y a des degrés dans le sérieux, répliqua Syme. Je n’ai jamais douté de votre parfaite sincérité, en ce sens que vous jugiez vos paroles bonnes à dire, que vous recouriez au paradoxe pour réveiller les esprits et les ouvrir à quelque vérité négligée.

Gregory le regardait fixement, avec douleur.

— Et vous ne me croyez pas sérieux en un autre sens encore ? Vous me prenez pour un oisif, pour un flâneur qui laisse parfois tomber de ses lèvres quelque vérité, par hasard ? Vous ne me croyez pas plus profondément sérieux, en un sens plus fatal ?

Syme frappa violemment de sa canne les pavés de la rue.

— Sérieux ! s’écria-t-il. Eh ! bon Dieu ! qu’y a-t-il de sérieux dans cette rue, dans les lanternes vénitiennes et dans toute la boutique ? On arrive ici, on parle à tort et à travers… Peut-être aussi dit-on quelques paroles sensées ; mais je n’aurais