Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette pensée, qu’il était bien sur une autre planète, moins vivante que la nôtre, gravitant autour d’une étoile plus triste que la nôtre.

Mais, plus profondément il ressentait cette désolation du clair de lune, plus sa folie chevaleresque brûlait en lui comme un grand feu. Jusqu’aux choses communes qu’il portait dans ses poches, sandwichs, brandy, pistolet chargé, s’animaient de cette poésie concrète et matérielle dont s’exalte un enfant, quand il emporte un fusil à la promenade ou un gâteau dans son lit. La canne à épée et la gourde de brandy, ces obligatoires et ridicules accessoires de tout conspirateur, devenaient pour lui l’expression de son propre romantisme. La canne à épée, c’était le glaive du chevalier, et le brandy, le coup de l’étrier ! — Car les fantaisies modernes, même les plus déshumanisées, se réfèrent toujours à quelque symbole ancien et simple. Que l’aventure soit folle tant qu’on voudra, il faut que l’aventurier ait le bon sens. Sans saint Georges, le dragon n’est même pas grotesque. De même, ce paysage hostile ne sollicitait l’imagination que grâce à la présence d’un homme véritable. À l’imagination excessive de Syme, les maisons et les terrasses lumineuses et désolées dont la Tamise était bordée paraissaient aussi désertes, aussi tristement désertes que les montagnes de la Lune. Mais la Lune elle-même ne serait pas poétique, s’il n’y avait un homme dans la Lune.

En dépit des efforts des deux mariniers qui