Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/86

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peu banale que les deux autres ? Au premier abord, on ne trouvait rien d’inusité chez lui. De tous, c’était le seul qui portât ses habits élégants comme s’ils eussent été vraiment les siens. Il arborait une barbe noire, taillée en carré, à la française ; mais sa redingote affectait la plus pure coupe britannique. Syme ne tarda pas à s’apercevoir qu’on respirait autour de ce personnage une atmosphère terriblement capiteuse, capiteuse à en étouffer. Cela faisait songer aux odeurs enivrantes, aux lampes mourantes des plus mystérieux poèmes de Byron ou de Poe. Tout, chez lui, prenait un accent spécial ; le drap noir de son habit paraissait plus riche, plus chaud, teint d’une couleur plus intense que celle des ombres noires qui l’entouraient. Le secret de ce noir, c’est qu’il était une pourpre trop dense. Et le secret aussi de sa barbe si noire, c’est qu’elle était d’un bleu trop foncé. Dans l’épaisseur ténébreuse de cette barbe, la bouche, d’un rouge ardent, étincelait, sensuelle et méprisante. D’où qu’il vînt, il n’était certainement pas français. Peut-être un juif ; mais, vraisemblablement ses racines plongeaient plus profondément encore au sombre cœur de l’Orient. Dans les tableaux joyeusement bariolés et sur les briques de la sombre cour de Perse, qui représentent des tyrans en chasse, on voit de ces yeux en amande, de ces barbes noires aux reflets bleus, de ces lèvres écarlates et féroces.

Puis venait Syme, et puis un très vieux mon-