Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/88

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cins. Il portait ses beaux habits hardiment plutôt qu’avec aisance, et un sourire vague restait figé sur ses lèvres. Seul signe particulier : il avait sur le nez une paire de lunettes aux verres noirs, presque opaques. Pourquoi ces disques sombres épouvantèrent-ils Syme ? Peut-être le crescendo d’imaginations délirantes qui l’agitait le prédisposait-il à tout prendre au tragique. Il se remémora aussitôt une affreuse histoire, à demi oubliée, où il était question de sous qu’on incrustait dans les yeux des morts. Le regard de Syme ne pouvait se détacher de ces lunettes noires, de ce sourire figé. Sur le nez du vieux professeur ou du pâle secrétaire, elles ne l’eussent point surpris. Elles ne convenaient pas à ce jeune homme râblé, dont elles rendaient la physionomie bizarrement énigmatique. Elles cachaient pour ainsi dire ce qui en eût été la clé. Que signifiait son éternel sourire ? Que voulait dire sa gravité ? Cette singularité, jointe à cette virilité vulgaire dont tous les autres, sauf Gogol, étaient privés, persuada Syme que le docteur aux yeux noirs devait être le pire d’entre ces mauvais. Il pensa même que le docteur ne se cachait ainsi les yeux que parce qu’ils étaient trop horribles à voir.