Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/90

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même, une tour peut-être, dont l’architecture déjà serait un péché.

C’est ainsi que les membres du Conseil, avec leurs silhouettes violentes et incompréhensibles, étaient pour Syme de vivantes visions de l’abîme, et se détachaient sur un horizon ultime. En eux les deux bouts du monde se rejoignaient.

La conversation ne s’était pas interrompue, et le ton aisé et enjoué des causeurs faisait avec le sujet de l’entretien le plus étonnant des contrastes que réunissait cet étonnant déjeuner.

Ils parlaient, à fond, d’un complot à réaliser sans remise. Le garçon ne se trompait pas en disant qu’il s’agissait de bombes et de rois. Dans trois jours, le Tsar devait rencontrer le Président de la République française à Paris, et, sur le balcon ensoleillé, en consommant leur jambon et leurs œufs, ces joyeux conspirateurs décidaient la mort de l’un et de l’autre. On désignait même le camarade qui jetterait la bombe : c’était le marquis à la barbe noire.

Dans des circonstances moins extraordinaires, l’imminence de la réalité objective, positive, du crime aurait calmé Syme et dissipé ses craintes purement mystiques. Il n’aurait plus pensé qu’à la nécessité de sauver les deux hommes des fragments de fer et de la déflagration de la poudre qui menaçait de les déchiqueter. Mais le fait est qu’en ce moment précis, il commençait à ressentir une crainte personnelle, immédiate, où s’évanouis-