Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/91

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saient ses sentiments de répulsion et même le souci de ses responsabilités sociales. Ce n’était plus pour le Tsar et le Président de la République qu’il tremblait : c’était pour lui-même.

La plupart des anarchistes, passionnément intéressés par la discussion, ne se préoccupaient guère de Syme. Serrés les uns contre les autres, ils étaient tous très graves. À peine le rictus du secrétaire passait-il parfois sur son visage, comme un éclair dans le ciel. Mais Syme fit une remarque qui d’abord le troubla et bientôt le terrifia : le Président ne cessait de le regarder fixement, de le dévisager, avec un intérêt persistant. L’énorme individu restait parfaitement calme ; mais ses yeux bleus lui sortaient de la tête, et ces terribles yeux étaient fixés sur Syme.

Syme éprouva un désir presque irrésistible de sauter dans la rue, par-dessus le balcon. Il se sentait transparent comme le verre pour les prunelles aiguës de Dimanche et ne doutait plus que sa qualité d’espion, de quelque silencieuse et extraordinaire façon, n’eût été éventée par cet homme redoutable. Il jeta un regard par-dessus la balustrade du balcon et vit, juste en bas, un policeman qui considérait distraitement les grilles du square et les arbres ensoleillés.

Il eut alors une intense tentation qui devait plus d’une fois le hanter durant les jours qui suivirent. Dans la compagnie de ces êtres hideux, répugnants et puissants, de ces princes de l’anarchie,